L’humanisme passe par le féminisme

par Michel Faucheux

Extrait du chapitre « Olympe de Gouges au Panthéon » de la biographie d’Olympe de Gouges par Michel Faucheux publiée en 2018 dans la collection Folio Biographies des éditions Gallimard (avec l’aimable autorisation de l’éditeur) [1].

« Mais, si elle est une analyste politique d’envergure, Olympe de Gouges est aussi une combattante exemplaire de la liberté. Avec un courage digne d’admiration, elle ferraille tout au long de son existence et met en jeu sa vie jusqu’à la sacrifier pour défendre ses idées. Voilà pourquoi Olympe de Gouges devrait reposer au Panthéon aux côtés de Sophie Berthelot, Marie Curie, Geneviève De Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion ou Simone Veil [2], car ce serait la marque normale et méritée de la reconnaissance d’une nation. Ce serait aussi la marque d’un approfondissement de notre pensée politique capable de voir dans la condition des femmes la mesure du degré de la démocratie. Voilà la prise de conscience qui devrait dicter les combats présents et à venir. Olympe de Gouges, de son vivant, a édifié un personnage pour l’Histoire. On pourrait avancer en cela qu’elle s’est préparée à entrer au Panthéon, comme si elle avait voulu montrer la nécessité politique que des femmes y figurent avec les hommes [3]. Comme si elle avait voulu montrer la nécessité d’écrire une nouvelle « vie parallèle des hommes illustres » qui, bien des siècles après Plutarque, mette en relation non plus des Grecs et des Romains mais des femmes et des hommes. Car ne nous y trompons pas, si Olympe de Gouges conduit ainsi sa vie, définit ce style d’existence, ce n’est pas par tricherie ou vanité dérisoire, ce n’est même pas parce que l’Histoire est devenue théâtre. C’est parce qu’elle associe la vie, la vie réalisée, et non ôtée par une discrimination sociale, à « la grâce d’un commencement [4]», à l’événement d’une naissance à soi par le détour de l’écriture qui vient coïncider avec l’événement, historique et politique, de la Révolution. La grâce de l’invention de soi vient ainsi rejoindre l’art de mener la vie comme un récit.

En cela aussi, elle précède Hannah Arendt qui associera le miracle de la naissance, fût-elle symbolique, comme dans le cas d’Olympe de Gouges, à la liberté d’être soi et d’agir, autrement dit, à la capacité de vivre en résistant au mécanisme politique qui tend à rendre les hommes superflus [5]. En aspirant au sublime, en épousant les grandes causes, celles de la liberté des femmes et des Noirs réduits en esclavage, celle de la liberté en général, Olympe ne naît pas femme, en effet, mais le devient grâce au personnage historique qu’elle se crée et le récit d’elle-même qu’elle compose. C’est que la politique d’Olympe de Gouges est finalement ambitieuse :  elle vise à faire accéder l’Humanité à une plus grande réalisation d’elle-même car, comme elle l’a compris bien avant d’autres, l’humanisme passe alors (et toujours) par le féminisme. En définitive, écrire une biographie d’Olympe de Gouges, c’est se faire le secrétaire (certes critique) de celle-ci : réécrire, en la reconstituant tant elle est disséminée dans des textes multiples et divers, la biographie d’elle-même qu’Olympe a souhaité se donner pour mieux vivre, pour exister et échapper à la négation de l’Histoire. Ainsi donne-t-elle une leçon au biographe en lui faisant comprendre qu’il ne fait jamais qu’écrire le récit d’un récit car toute action pour exister doit susciter un récit et être enveloppée par lui, ce qui n’exclut pas les accidents de la mémoire [6]. Olympe de Gouges fut oubliée et dédaignée. Elle est désormais redécouverte et célébrée. De nombreuses rues, des bâtiments publics, des établissements scolaires portent son nom. En son honneur, lors du bicentenaire de la Révolution française, le pionnier de l’art vidéo, l’artiste coréen Nam June Paik a créé un robot, Olympe de Gouges dans la fée électronique. Certes, Olympe de Gouges n’est pas encore entrée au Panthéon par incompréhension des politiques, mais elle y entrera sans nul doute car son combat, en ce début du XXIe siècle, possède des accents toujours plus actuels.

Ceci dit, Olympe de Gouges est déjà entrée à l’Assemblée nationale. Le 20 novembre 2016, un buste la représentant sculpté par Jeanne Spehar et Fabrice Gloux a été installé dans la salle des Quatre Colonnes face à celui de Jean Jaurès, à la place du buste d’Albert de Mun, figure du christianisme social. « Entre ici Olympe de Gouges », s’est exclamée la socialiste Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée aux droits des femmes, reprenant ainsi la célèbre formule prononcée par André Malraux lors de l’entrée de Jean Moulin au Panthéon. C’était souligner qu’Olympe de Gouges fait déjà partie des femmes et des hommes qui composent le panthéon de la mémoire nationale française et est devenue l’un des points de repère de notre histoire politique. Ses combats pour le droit des femmes, contre l’oppression et les formes dictatoriales de la politique ne relèvent pas d’un passé célébré et idéalisé mais prennent toujours plus de place dans la conscience de notre présent.

 À la voix d’Olympe de Gouges font aujourd’hui écho d’autres voix : celles de nombreuses femmes qui, de par le monde, s’insurgent  contre les violences et les discriminations sociales dont elles font l’objet.  Toute révolution commence par une prise de parole. »

Michel Faucheux, « Olympe de Gouges », © éditions Gallimard.

https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-biographies/Olympe-de-Gouges


[1] M. Faucheux, Olympe de Gouges, Folio biographies, Gallimard, 2018, p. 231 et suivantes.

[2] Joséphine Baker a été panthéonisée le 30 novembre 2021, 3 ans après la publication de la biographie d’Olympe de Gouges dont ce texte est un extrait.

­­­­­­­­[3] Comme les fondateurs du Panthéon, comme d’autres acteurs de la Révolution, Olympe de Gouges pense que l’Histoire est d’abord écrite par de « grands hommes » et donc de « grandes femmes ».

[4] J. Kristeva, Le Génie féminin, t.1, p.81

[5] « Le miracle de la vie qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, naturelle, car, finalement, c’est dans la natalité, par la naissance d’hommes nouveaux et par le fait qu’ils commencent à nouveau l’action, que s’enracine ontologiquement la faculté d’agir, dont ils sont capables par droit de naissance ». (Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), trad. Georges Fradier ; L’Humaine condition, édition Quarto, p. 259).

[6] « (…) la narration compte, mais l’action prime à condition qu’elle soit une action narrée » (J. Kristeva, Le génie féminin, t.1, p.120 ).

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