Olympe de Gouges au Panthéon, par Caroline Broué

Du 16 décembre 2021 au 14 janvier 2022, France culture tint un Open Panthéon : lors des Matins, 21 de ses producteurs et productrices ont chacun·e à leur tour révélé qui ils ou elles aimeraient voir entrer au Panthéon. Le 31 décembre, la parole était à Caroline Broué, qui choisit l’autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Sa chronique nous avait beaucoup plu ; signataire de notre pétition, elle nous a autorisées à la reproduire ici.

Pour l’écouter, sur le site de France culture

J’aurais pu choisir Desmond Tutu. Mais je suis restée dans la tradition du Panthéon qui veut qu’on honore une figure ayant marqué l’histoire de France. Une chose était sûre : il fallait une femme. Parce qu’il n’y a pas de raison de laisser au Panthéon seulement 6 femmes au milieu de 75 hommes, comme c’est le cas depuis que Joséphine Baker y a été transférée le 30 novembre dernier. Mais laquelle ? Louise Michel dont les combats et le courage au moment de la Commune restent sans pareil ? Anne Sylvestre dont les chansons porteuses d’un véritable engagement émancipateur ont accompagné des générations entières ? La mère Brazier dont la cuisine lyonnaise a tellement influencé notre gastronomie, pan essentiel de notre culture ? Suzanne Noël qui fut la première femme chirurgienne à réparer les gueules cassées de la boucherie de 14-18 ?

Après une petite réunion de famille pour sonder compagnon et enfants sur leurs choix et les confronter aux miens, le choix s’est porté sur Marie Gouze, née à Montauban en 1748 et morte à Paris en 1793, dont la première des libertés a consisté à choisir son nom – et son prénom, Olympe, deuxième prénom de sa mère.

Je suis un animal sans pareil ; je ne suis ni homme ni femme. J’ai tout le courage de l’un, et quelquefois les faiblesses de l’autre. Je possède l’amour de mon prochain et la haine de moi seule. Je suis fière, simple, loyale et sensible. Dans mes discours, on trouve toutes les vertus de l’égalité ; dans ma physionomie les traits de la liberté ; et dans mon nom, quelque chose de céleste.

Voilà ce qu’écrit Olympe de Gouges dans une lettre en 1792 ! Pour cela, elle fut d’ailleurs surnommée la virago, ce qui n’était pas particulièrement amical. Restif de la Bretonne la considérait comme une prostituée et Jules Michelet comme une hystérique…  Olympe de Gouges, donc, puisque c’est ce nom qui est resté dans l’histoire, est, comme elle l’a écrit, « une enfant de la nature« , officiellement fille d’un boucher mais fille naturelle d’un aristocrate, connue pour avoir écrit en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dont on a surtout retenu une phrase célèbre :

« La femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune ».

« Une radicale de la modération »

Monter à la tribune, Olympe de Gouges l’a fait sans demander la permission. Elle s’est emparée de la parole publique à une époque où les femmes ne le faisaient pas. Pour elle, tous les moyens d’expression étaient bons : les livres, les pièces de théâtre, les journaux et même les brochures politiques qu’elle placardait sur les murs… Pour réclamer des droits pour les femmes, notamment le divorce et le droit de vote, exprimer sa solidarité avec les ouvriers, mais aussi pour l’abolition de l’esclavage et celle de la peine de mort, elle usa de tous. Parce que si la loi autorisant le divorce a été votée en 1792, le droit de vote n’a été accordé aux femmes qu’en 1944, l’esclavage définitivement aboli en 1848 et il a fallu attendre 1981 pour en finir avec la peine de mort…

Pourquoi Olympe a-t-elle été guillotinée ? Sans doute parce qu’elle parlait trop et qu’elle ne plaisait pas à tous les révolutionnaires, elle qui était plus girondine que montagnarde… Arrêtée sous la Terreur, cette « radicale de la modération » fut condamnée après avoir croupi cinq mois en prison, puis guillotinée sur cette place qui deviendra celle de la « Concorde », après avoir attendu toute la journée son exécution à cause d’une pluie diluvienne.

Pourquoi la faire entrer au Panthéon ? Parce que cette pionnière et cette visionnaire incarne à la fois le courage, la liberté, l’exemplarité dont on a besoin aujourd’hui, une boussole pour les femmes et pour les hommes car les deux vont de pair. Elle est d’ailleurs une star au Japon et aux États-Unis qui souffrent moins de la lourdeur du débat sur la Révolution qu’en France. Enfin parce qu’aujourd’hui l’idée de « mourir pour la modération » est excellente tant on meurt d’intransigeance.

L’idée d’introniser Olympe de Gouges avait déjà été évoquée en 2013 et même soutenue par des personnalités comme Françoise Héritier, Christiane Taubira ou Benoîte Groult. Mais les pouvoirs publics ont préféré lui ériger un buste à l’Assemblée nationale en 2016. Alors faudra-t-il attendre qu’une femme soit élue présidente pour la voir entrer au Panthéon ? L’histoire nous le dira.

Caroline Broué, productrice sur France culture

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