Spécialiste du XVIIIe siècle, et de la Révolution française en particulier, l’historienne Cécile Berly vient de faire paraître Guillotinées, qui retrace de façon à la fois précise et poignante les arrestations et les incarcérations puis les procès, les condamnations et les exécutions successives de Marie-Antoinette, Olympe de Gouges, Mme Roland et Mme du Barry. Elle accompagne ces quatre femmes dans l’épreuve qu’elles traversent, l’une après l’autre, de la perte de la liberté, de la privation d’un lieu et d’un temps à soi, du manque d’hygiène, du froid et de l’humidité, de la maladie et de la fièvre, des humiliations, de la peur et du désespoir.
Grâce au récit de Cécile Berly, l’on s’approche de chacune de ces femmes, dont le sort peut nous faire songer à celui des Iraniennes emprisonnées, en attente de leur sentence ; l’on compatit et l’on salue leurs efforts pour rester dignes et calmes, pour endurer des calomnies d’une misogynie vertigineuse (Marie-Antoinette, une mère incestueuse, Mme Roland, une nymphomane, une prostituée…). L’on admire qu’Olympe de Gouges et Mme Roland continuent d’écrire : c’est dans sa prison que Manon sort de l’ombre maritale et s’affirme comme femme de lettres ; Olympe parvient à faire diffuser à l’extérieur les deux plaidoyers qu’elle a rédigés en sa faveur et qui accusent Robespierre et Fouquier-Tinville (Olympe de Gouges au tribunal révolutionnaire, en août 1793, et Une patriote persécutée, en septembre 1793). Et l’on se demande comment ces femmes, bien qu’à bout de forces, ont su obtenir d’elles-mêmes la fermeté qui leur a permis de s’avancer sans trembler ni défaillir vers l’échafaud. À l’exception de Mme du Barry qui, « simplement humaine », avait conservé l’espoir d’être innocentée et que ses émotions submergent à l’approche de la mort.
Olympe de Gouges en prison
Je remercie la maison d’édition Passés / Composés qui m’a autorisée à reproduire un extrait de la sous-partie de Guillotinées dédiée au procès d’Olympe de Gouges.
Dénoncée par un afficheur de la Commune de Paris, Olympe de Gouges fut arrêtée le 20 juillet 1793, alors qu’elle s’apprêtait à faire placarder Les Trois Urnes ou le salut de la patrie par un voyageur aérien. Cette affiche proposait qu’un référendum soit organisé afin que les départements français choisissent le gouvernement qui leur agrée – républicain, fédéraliste ou monarchiste. Elle contrevenait donc à la loi votée le 29 mars 1793, qui interdisait, sous peine de mort, de défendre un régime politique autre que républicain.
Incarcérée le 20 juillet dans une cellule du dépôt de la Mairie, où elle est nuit et jour sous la garde d’un gendarme, Olympe de Gouges est transférée le 28 à la prison de l’Abbaye, puis, après qu’elle eut dénoncé le manque de soins dont elle pâtissait (la plaie qu’elle avait à la jambe s’était infectée, au point que la fièvre ne la quittait plus guère), à la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre, elle est envoyée par Fouquier-Tinville à l’infirmerie des femmes de la prison de la Petite-Force. En octobre, moyennant le versement d’une pension, elle accède à une maison de santé où elle n’est plus au secret et bénéficie de soins. Mais le 28 octobre, elle est transférée à la Conciergerie.
S. Duverger
Procès d’Olympe de Gouges, le 2 novembre 1793 [1]
Depuis le jour de son arrestation, le 20 juillet 1793, elle n’a de cesse de réclamer d’être jugée. Elle n’a pas peur de comparaître devant le tribunal révolutionnaire. En outre, sa condition de prisonnière lui est absolument insupportable. Elle en fait la démonstration dans le dernier texte qu’elle écrit, Une patriote persécutée à la Convention nationale, et qu’elle réussit à faire sortir de l’une de ses prisons pour qu’il soit placardé dans les rues de Paris au mois de septembre, rédigé depuis l’infirmerie des femmes de la Petite-Force. Tour à tour courageuse, truculente, provocante, elle défie par l’écriture tous ses ennemis qu’elle considère, avant tout, comme ceux de la Révolution, la vraie, la sienne. Celle de l’égalité, de la justice sociale et de la modération. Elle ne veut pas seulement défendre sa probité. Être jugée est la condition pour réhabiliter la femme et l’écrivaine qu’elle est. Depuis des années, et ce bien avant la Révolution, elle est accablée de tous les maux en raison de sa prétention (féminine) à fouler l’espace public (masculin) par l’écriture. Ce que l’on reproche à Olympe de Gouges, c’est non seulement d’avoir écrit, mais, surtout, d’avoir fait imprimer, diffuser et signer la plupart de ses textes. C’est d’avoir des idées, de vouloir participer aux débats publics et de les influencer. Dans cet ultime brûlot placardé, elle se montre diserte, bavarde, éloquente. Quand on la lit, on a l’impression que rien ni personne ne pourra la faire taire :
« Représentants d’un peuple libre ! C’est à vous que j’adresse mes plaintes ; c’est à vous, c’est au peuple d’en apprécier la justice ; c’est à ceux qui aiment la liberté et la patrie de juger des rigueurs d’une captivité d’autant plus horrible qu’elle est imméritée. Mes ennemis ont pu triompher un instant ! Mais je les brave du fond de mes cachots. Je suis sous la sauvegarde de la loi, un jour je les confondrai, et je ne veux exercer d’autre vengeance contre eux que d’exposer au grand jour ma conduite et mes écrits. L’on verra qui de nous a le plus idolâtré sa patrie ; l’on verra que j’ai tout fait, tout sacrifié pour le bonheur du peuple, et des fers sont la récompense de mon patriotisme ! Je suis détenue… accusée, traduite devant le tribunal révolutionnaire… Que l’on me juge donc !… La mort ou la liberté [2] »
Le 2 novembre 1793, il est environ sept heures du matin. La nuit a été particulièrement glaciale. Depuis six jours, Olympe de Gouges est à la Conciergerie, enfermée au secret. La lourde porte de son cachot est ouverte. Y pénètre un huissier suivi de gendarmes. On lui annonce qu’elle est attendue au tribunal révolutionnaire. Elle s’habille promptement, transie de froid, malade depuis des mois, diminuée physiquement par ces semaines d’enfermement. Elle est prête. Elle sort de son cachot, entourée par la force armée. À cette heure encore très matinale, elle traverse de longs couloirs. Le silence anxiogène est brutalement interrompu par le bruit des portes et des grilles que l’on ouvre et ferme, ou par les cris ponctuels de prisonniers et de gardiens. À la lueur des flambeaux, se dessinent sur les murs épais et humides des ombres menaçantes. La prisonnière monte l’escalier de la tour Bonbec. De là, elle rejoint la salle de l’Égalité, une grande pièce largement dépouillée, et où se tient le tribunal pour la juger [3].
Sur le mur de gauche sont accrochés quelques-uns des symboles de la Révolution tels que les haches de licteurs, les tables de la Loi ou des trophées agrémentés de faucilles et de triangles. En dessous, est placée la longue table derrière laquelle sont assis le président Herman, les juges David et Lannes ainsi que leurs assesseurs. À proximité, sont assis sur des bancs les jurés. En face, à droite, il y a le petit bureau du substitut Naulin, lequel remplace l’accusateur public Fouquier-Tinville. Si ce dernier n’est pas physiquement présent, c’est bien lui qui a rédigé l’acte d’accusation. Tous les membres du tribunal portent le même habit noir, et sont coiffés d’un chapeau sur lequel est agrafée la cocarde, surmonté d’un panache également noir. Autour du cou, ils ont un long ruban tricolore duquel pend une médaille où est écrit un seul mot : « Loi ». Les tribunes sont occupées par une foule très nombreuse et particulièrement féminine. On y retrouve les fameuses Tricoteuses qui occupent leurs mains de leurs travaux d’aiguille tout en réagissant, le plus souvent bruyamment, au déroulé du procès. Pour entrer dans la salle de l’Égalité, Olympe de Gouges traverse un étroit passage aménagé entre les tribunes. Elle mesure toute l’hostilité entretenue à son encontre. Cependant, elle apparaît avec assurance et dignité. Elle prend place sur le siège qui lui est réservé, juché sur une estrade. Elle est ainsi visible de tout le monde.
[1] Cécile Berly, Guillotinées, Passés / Composés, 1er février 2023, p. 94-97.
[2] Olympe de Gouges, Écrits politiques, 1792-1793, Introduction d’Olivier Blanc, Indigo et Côté femmes éditions, Paris, p. 249-253.
[3] C’est dans cette salle que Charlotte Corday a été jugée, et condamnée, en juillet.
Une femme d’exception
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