Extraits des œuvres complètes

Olympe de Gouges publie son premier texte politique en 1788. Intitulé Lettre au peuple ou le projet d’une caisse patriotique, il propose, pour éteindre la dette de l’État et enrayer la crise économique qui sévit et affame le peuple, la création d’un impôt proportionnel aux revenus des Français·es, nobles compris·es. Ses « réflexions utiles » – c’est ainsi qu’elle-même qualifiera plus tard ses projets de réforme – ne passent pas inaperçues. Elles font, précise Olivier Blanc, l’objet de la une du Journal général de France (préface aux Écrits politiques d’Olympe de Gouges, tome I, côté-femmes, 1993, p. 8).

« L’homme est sans doute l’être le plus indéfinissable. Supérieur à tous les autres animaux par son intelligence, sa raison et la faculté qu’il a d’étendre ses lumières, il est cependant plus insensé et moins humain que les brutes. »

Dans l’extrait ci-dessous, Olympe de Gouges vise Beaumarchais, qui s’efforça de la faire renoncer à la publication d’un texte dans lequel elle dénonçait sa fausse bienveillance et son hypocrisie, texte que nous citons dans notre présentation ci-dessous du Mariage inattendu de Chérubin.

« Le ton impérieux d’un homme qui veut dominer sur tout le monde ne peut m’en imposer par sa hardiesse et son faux mérite. » (Réminiscence, 1788, Œuvres complètes, tome III, éditions Cocagne, p. 124)

« (…) la référence au passé peut servir d’exemple mais elle ne peut jamais servir de loi. » (La nécessité du divorce, 1790)

Les violences conjugales sont évoquées par Olympe de Gouges. Elles constituent l’une des raisons pour lesquelles elle plaide vigoureusement en faveur du droit au divorce, nécessaire parce que salutaire :

« Peut-être la perpétuité du mariage a-telle produit plus d’horreur que l’ambition forcenée des conquérants et l’implacable cruauté des tyrans dont la terre fut inondée dans les temps barbares. On pouvait fuir au moins leur présence. Aucune loi érigée en dogme ne forçait à attendre leurs coups. Dans le mariage indissoluble, il faut vivre avec son ennemi, quelquefois son bourreau, baiser la main qui doit nous percer, et se voir dans la cruelle alternative de vivre infâme ou de mourir malheureux. » (réplique de Rosambert dans La nécessité du divorce, in O. de Gouges, Théâtre politique, tome II, préface de Gisela Thiele-Knoboch, Indigo/Côté femmes, [1993], 2019, p. 162.)

Mariée contre son gré à Louis-Yves Aubry, Olympe de Gouges a peut-être elle-même été victime de brutalités (voir ci-dessous). Plus tard, elle fréquenta le salon littéraire de Mme de Chambonas, comme elle passionnée de théâtre. Or, en 1776, Mme de Chambonas avait intenté à son mari un procès dont la presse rendit compte : elle était défigurée par ses coups (O. Blanc, Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, 2014, p. 55). Le divorce la sauva. Une liberté vitale, donc.

Extraits du Mariage inattendu choisis avec le concours de Béatrice Daël, éditrice des œuvres complètes

Olympe de Gouges s’est vantée d’avoir écrit Le Mariage inattendu en 24 heures, en guise de suite au Mariage de Figaro, à la représentation duquel elle venait d’assister. Ne goûtant pas l’audace de cette autrice qui prétendait lui rendre hommage et osait par là se mettre sur un pied d’égalité avec lui, le célèbre Beaumarchais entreprit de la discréditer et de détourner les comédien·nes du Théâtre-Italien du Mariage inattendu, qu’ils projetaient de jouer. Il va jusqu’à dire qu’elle n’est pas l’autrice de ses pièces (O. de Gouges, Préface au Philosophe corrigé, 1788, Œuvres complètes, tome IV, éditions Cocagne, p. 199).

Beaumarchais assurait être le protecteur du « sexe faible ». Il s’emploie pourtant à ruiner la carrière de l’une de ses représentantes, furieux qu’elle se déclare son émule. Olympe de Gouges analyse :

« j’étais rivale de ses talents et je devenais pour lui un homme redoutable » (id.), ajoutant : « Je suis femme, point riche, et je prétends à l’émulation des hommes de mérite qui ont joint beaucoup de gloire à une honnête aisance. Ne sera-t-il donc jamais permis aux femmes d’échapper à l’indigence que par des moyens viles ? »

Avant et après Beaumarchais, Olympe de Gouges fut suspectée de n’avoir pas composé elle-même ses écrits, d’être trop peu cultivée et pas assez réfléchie pour cela.

Lors même de son procès, ce soupçon fut évoqué. Il lui fut reproché d’avoir « fait imprimer des ouvrages qui ne peuvent être considérés que comme un attentat à la souveraineté du peuple », non sans ajouter cette réserve que de ces ouvrages « elle est au moins le prête-nom » (extraits des chefs d’accusation reproduits par Cécile Berly, Guillotinées, Passé composé, 2023, p. 97-98).

D’aucuns prétendirent même qu’elle ne savait pas écrire. En prison, cependant, elle avait rédigé des textes politiques et une correspondance sans l’appui d’aucun secrétaire. Il ne s’agissait là que d’allégations, auxquelles une femme autodidacte, qui plus est d’origine modeste et provinciale, pouvait aisément être en butte.

L’extrait suivant, dont la fluidité stylistique aurait dû être saluée par Beaumarchais et ses contemporains, met en scène des idées éclairées.

Le rang ne fait pas la valeur, la véritable noblesse – l’homme véritable – requiert des vertus dont l’aristocratie n’est pas nécessairement pourvue. Ainsi le comte pourrait faire valoir « le droit du seigneur » (le droit de cuissage) et contraindre Fanchette à lui céder, tandis que l’air « noble » et « décent » de la jeune fille du peuple a séduit le marquis Chérubin, qui diffère son départ pour protéger celle qu’il aime en secret de la prédation d’un de ses pairs. La valeur tient donc à la personne et non pas à la classe sociale.

L’on voit que la question des violences sexuelles est soulevée par Olympe de Gouges dès l’ouverture de sa pièce. Elle l’est d’ailleurs souvent dans son œuvre (voir ci-dessus un autre exemple), ce qui n’a, à ma connaissance, guère été signalé, du moins en France. Ainsi son premier biographe contemporain, Olivier Blanc, suggère que le mariage forcé de la jeune Marie Gouze avec Louis-Yves Aubry releva de la violence et qu’il se pourrait que ce mari non désiré fût brutal (O. Blanc, Olympe de Gouges, des droits de la femme à la guillotine, 2014, p. 30). Il mentionne notamment ce passage de l’autobiographie romancée d’Olympe de Gouges, Mémoire de Madame de Valmont :

« l’on me maria à un homme que je n’aimais point et qui n’était ni riche, ni bien né. Je fus sacrifiée sans aucune raison qui puisse balancer la répugnance que j’avais pour cet homme. » (Œuvres complètes, tome III, Cocagne éditions).

Mais il n’établit pas de relation avec l’évocation récurrente des violences sexuelles dans l’œuvre à venir de celle qui reprendra possession d’elle-même en se dotant du nom « céleste » d’Olympe de Gouges. Il rappelle à juste titre qu’elle dénonce avec éloquence « la violence des abus de droit et des injustices, surtout envers les minorités de couleur et les plus faibles » (O. Blanc, op. cit., p. 15). Mais il ne semble pas s’aviser de la spécificité des violences auxquelles les femmes sont confrontées, ni de la présence de ces violences spécifiques dans les écrits littéraires de celle dont il est le premier biographe.

Sans doute parce que, en tant qu’historien, il s’intéresse davantage aux productions politiques d’Olympe de Gouges, qui sont prises dans le tourbillon des événements révolutionnaires. Et surtout parce que sa thèse est qu’elle est plus humaniste que féministe, ainsi qu’en témoigne la suite du passage de son ouvrage précédemment cité : « C’est là véritablement que réside l’originalité d’Olympe de Gouges, et c’est en ce sens que l’on peut affirmer qu’elle fut, au milieu des déchirements entre partis, une humaniste éprise de paix et de réconciliation. » (Idem).

Cet a priori empêche de remarquer, notamment, que cette autrice évoque souvent la violence sexuelle (et de classe), le droit que s’arrogent certains hommes (pas tous) à disposer du corps de certaines femmes (pas de toutes) et l’impuissance ou la culpabilité de ces proies (une esclave, une jeune fille pauvre…). Il conduit aussi à affirmer qu' »Olympe de Gouges n’était pas plus ‘féministe’ que bien des hommes et des femmes de son temps » (Olympe de Gouges, des droits de la femme…, op. cit., p. 12). Ce que l’auteur infirme lui-même, sans s’en apercevoir. Il convient en effet, et pour ne prendre que deux exemples, qu’Olympe de Gouges fut « la première » à publier « un manifeste féministe important, d’une forme synthétique et quasi officielle, la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dédiée à la reine », qu’elle-même qualifia, précise-t-il, d' »ouvrage majeur » (Ibid., p. 150). Il observe en outre, dans les pages qui suivent, que cette déclaration « eut un faible écho politique » (p. 151). Curieusement, dans les raisons qu’il donne au peu d’entrain qu’elle suscita, il ne mentionne pas l’idéologie sexiste de la hiérarchie des sexes que cette Déclaration emboutissait. Bien qu’il évoque (p. 152) l’hégémonie de ces représentations selon lesquelles les femmes seraient dénuées d’autonomie et vouées aux soins des autres, représentations que la plupart de leurs victimes elles-mêmes adoptaient. Enfin, il observe que, s’engageant avant la Révolution dans la carrière dramatique, Olympe de Gouges « était décidée à faire reculer les limites prescrites au rôle social et intellectuel des femmes. » (Ibid., p. 66) puis que, pendant la Révolution, elle « ne pouv[ait] écrire une brochure sans y glisser une allusion aux femmes » (ibid., p. 157).

Autrement dit, l’autrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne fut bien une féministe avant la lettre, elle le fut quand il n’y en avait encore que très peu – ce qui d’ailleurs témoigne de sa liberté d’esprit, de sa clairvoyance ainsi que de son courage –, et elle le resta toute sa vie. Cela ne la conduisit pas à se détourner des autres questions sociales et politiques. Il en va d’ailleurs de même de l’extrême majorité des féministes.

Extrait de l’acte I, scène I

Chérubin (capitaine des gardes du roi d’Espagne) : Quel dommage que Fanchette ait une si basse origine ! Si l’on pouvait vaincre le préjugé qui fait le malheur des hommes…

Figaro : Vous avez raison, monseigneur ; mais vous auriez tort si vous vouliez le détruire. Quoique devenu votre maître et parvenu au plus haut degré de fortune et de dignité, vous devez tout à votre rang.

Chérubin : Ce rang est un sot, et cependant il faut avoir l’esprit de le soutenir.

Figaro : Bravo, monseigneur. Vous êtes le seul à qui j’ai vu le caractère d’un véritable homme : ainsi vous n’avez pas besoin de mes conseils. Que votre raison seule vous guide et vous ne ferez pas de sottises.

Chérubin : L’amour est tout-puissant. L’absence seule peut le vaincre et non pas la raison.

Figaro : Partez donc au plus tôt, puisqu’il le faut, mais je bien que M. le comte ne profite de votre départ pour réaliser ses prétentions.

Chérubin : Tu crois, cher Figaro ?

Figaro : Ma foi, je crois tout de sa part. Respecte-t-il quelque chose en fait de galanterie ?

Chérubin : Tu me fais ouvrir les yeux. Le comte pourrait abuser ? … Non, je ne partirai qu’après le mariage.

Extrait de l’acte I, scène II

Le comte : (…) vous faites l’important, monsieur le financier parvenu. Ne vous souvient-il plus que vous avez été mon valet et ancien médecin de chevaux en Catalogne ?

Figaro : j’ai eu l’esprit de ne pas l’oublier et vous n’avez pas eu celui de ne plus vous en souvenir. Tenez, monseigneur, point d’apostrophe. Je suis un homme comme vous et je connais mes droits. Il y a un million de fois plus de mérite à être parvenu moi seul, sans l’aide de personne, à la place que j’occupe. Votre Excellence n’en peut pas dire autant.

Départ de M. Necker et de Madame de Gouges,
ou Les adieux de Madame de Gouges aux
Français et à M. Necker,
1790

Extraits commentés

Exaspérée par l’attitude du Théâtre-Français, qui refuse de reprendre les représentations de son « drame sur l’esclavage des Noirs », Olympe de Gouges projette de s’exiler en Angleterre où elle espère trouver moins d’injustice et plus de lumières. Tandis que, confronté à l’opposition de l’Assemblée nationale, en dépit du rôle salutaire qu’il avait jusque-là joué, Necker démissionne.

Olympe de Gouges a « quelques instants, occupé la scène » comme Necker, mais lui
« dans un poste élevé » et elle « dans un rang terre-à-terre », écrit-elle.

Elle ose se comparer à Necker, et ne doute pas de sa valeur, sans pour autant s’illusionner sur son statut social et la reconnaissance dont elle dispose en tant que femme politique. Son humour lui permet de tenir ensemble son ambition, son désir d’être prise au sérieux, et la réalité de la hiérarchie sociale qui perdure, à laquelle elle se heurte doublement, parce qu’elle est une femme et une « transfuge de classe ».

Elle a conscience de penser à partir de sa position sociale et de façon concrète, « terre-à-terre », convient-elle. Ce qui lui permet d’être sensible à la souffrance des déshérité·es et de proposer des réformes ancrées dans la réalité, afin de remédier à leur sort.

Le 30 mars 2023, Annie Ernaux a dit au Festival international de films de femmes que, prenant soin des autres et se souciant de la vie matérielle, les femmes étaient les mains du monde. Cette remarque vaut aussi pour Olympe de Gouges.

Faisant ses adieux à la France, Olympe poursuit :

« Tout mon bagage tiendrait à présent dans un chausson, mais j’ai une santé à toute épreuve »,

Pas d’apitoiement sur son sort, elle préfère faire sourire avec elle plutôt que de prêter le flanc à ceux qui voudraient rire à ses dépens.

« (…) presque ruinée par mes imprimeurs, je pars dans une carriole
rude et mal attelée, entourée de ma chère collection dramatique et patriotique, semblable, à cet égard au divin Homère, qui gagnait, dit-on, sa vie en récitant de ville en ville les vers de son poème immortel. »

Après Necker, Homère : à cette hauteur elle prétend, tel est le sentiment qu’elle a de sa valeur. Femme politique et écrivaine, elle se met sur le même plan qu’un ministre hier encore « le Dieu de la France » puis que le Poète par excellence… sans éprouver de vertige ni perdre le sens de la réalité. Elle invite ses lectrices et lecteurs à cahoter avec elle dans sa carriole « mal attelée », entre aspirations et désillusions, mais en conservant son allant :

« je vais faire connaître à l’étranger les écrits d’une femme qui auraient peut-être sauvé la patrie, si on ne les eût pas
d’abord dédaignés et calomniés, mais qu’on ne suit pas moins
actuellement. »

Pas de renoncement chez Olympe de Gouges, pas de sentiment d’échec, à la place du désir et de l’humour. Elle ne partira pas en Angleterre, mais restera en France. Et continuera de penser par elle-même, en considérant son autodidaxie comme un organe-obstacle (concept forgé par Jankélévitch), autrement dit, comme un obstacle qu’elle transforme en moyen au service de la vérité :

« (…) souvent la multitude de mes idées m’égare et j’ai alors bien de la peine à me retrouver ; c’est ce qui a fait dire à mes lecteurs : ‘si cette femme n’avait pas des fusées dans la tête, elle nous dirait quelquefois d’excellentes choses’ (…). (…) je suis, dans mes écrits, l’élève de la nature ; je dois être, comme elle, irrégulière, bizarre même, mais aussi toujours vraie, toujours simple. »

Olympe de Gouges, c’est aussi cette femme qui, dans ce même écrit, déclare :

« je ne sais pas condamner un homme sur les apparences, je veux l’entendre, je veux des faits, je veux voir par moi-même. »

Penser par soi-même, voir par soi-même : une philosophe donc. Comme le montre brillamment Sandrine Bergès dans l’ouvrage qu’elle lui consacre (Cambridge University Press, 2022).

Un théâtre de femmes

Extrait du Bonheur primitif de l’homme, 1789, publié dans le tome II des Œuvres complètes (Montauban, Cocagne)

Olympe de Gouges, on le sait, est entrée dans la carrière littéraire par le théâtre, en jouant puis en écrivant des pièces.

Oui, citoyens, n’ayant point de fortune, j’ai entrepris de m’en procurer une par une noble émulation et d’engager mon sexe à se distinguer, de même que les hommes, par une industrie honorable. Un grand nombre de femmes bien nées sont perdues, parce que les hommes, qui se sont emparés de tout, ont privé les femmes de s’élever et de se procurer des ressources utiles et durables. (…) De tous les temps les femmes ont écrit ; elles ont eu le droit d’entrer en lice, avec les hommes, dans la carrière dramatique.

Afin d’encourager les femmes dans cette voie émancipatrice et de favoriser le progrès socio-politique, Olympe de Gouges défend un projet de second théâtre national : pendant de la Comédie-Française, il ne présenterait que des pièces d’autrices et serait une « école des mœurs ».

Dénonciation des écarts de richesse

Extrait du Bonheur primitif de l’homme, 1789 (Œuvres complètes, T. II, Montauban, Cocagne, p. 57)

Jamais ils (les riches, les seigneurs) n’ont cherché à rendre l’existence des paysans heureuse et paisible. C’est cependant les laboureurs de qui les mains laborieuses font sortir tous les trésors de la terre et toutes les jouissances des grands et des riches. […] Quel cœur généreux vient les secourir dans leurs infirmités, qui n’ont souvent été produites que par l’excès des peines et des travaux ? Ils nourrissent les hommes et manquent eux-mêmes de pain.

Olympe de Gouges dénonce l’injustice faite aux paysans comme celle commise par les Colons à l’encontre des Noir•es : d’aucuns, devenus plus puissants (plutôt que meilleurs), s’approprient des terres qu’ils font cultiver par ceux et celles qu’ils dominent. L’on notera le rôle de l’instruction, qui creuse les inégalités et met des hommes égoïstes et cupides en mesure d’en exploiter d’autres, une idée que l’on trouve à plus d’une reprise dans l’œuvre de cette penseuse autodidacte. Voici un extrait de L’esclavage des Noirs (écrite au début des années 1780, 1783 ? 1785 ?, publiée dans une première version en 1788, jouée à la fin de 1789 à la Comédie-Française et publiée dans une nouvelle version en 1792 :

MIRZA : […] dis-moi, pourquoi les Européens et les habitants ont-ils tant d’avantages sur nous, pauvres esclaves ? Ils sont cependant faits comme nous, nous sommes des hommes comme eux : pourquoi donc une si grande différence de leur espèce à la nôtre ?

ZAMOR : Cette différence est bien peu de chose ; elle n’existe que dans la couleur ; mais les avantages qu’ils ont sur nous sont immenses. L’art les a mis au-dessus de la nature : l’instruction en a fait des dieux et nous ne sommes que des hommes. Ils se servent de nous dans ces climats comme ils se servent des animaux dans les leurs. Ils sont venus dans ces contrées, se sont emparé des terres, des fortunes, des naturels, des îles et ces fiers ravisseurs des propriétés d’un peuple doux, et paisible dans ses foyers, firent couler tout le sang de leur nobles victimes, se partagèrent entre eux leurs dépouilles sanglantes, et nous ont faits esclaves pour récompense des richesses qu’ils nous ont ravies, et que nous leur conservons. Ce sont leurs propres champs qu’ils moissonnent, semés de cadavres d’habitants, et ces moissons sont actuellement arrosées de nos sueurs et de nos larmes. La plupart de ces maîtres barbares nous traitent avec une cruauté qui fait frémir la Nature.

Pour plus d’extraits sur la question de l’esclavage dans l’œuvre d’Olympe de Gouges, voir Béatrice Daël, Sylvia Duverger, « Le combat d’Olympe de Gouges contre l’esclavage »

Sur Les différentes versions de L’esclavage des Nègres (ou des Noirs) ou Zamore et Mirza, voirson étude et présentation par Sylvie Chalaye et Jacqueline Razgonnikoff aux éditions L’Harmattan, 2006.

Critique de la religion

Extrait du Bonheur primitif  de l’homme (Œuvres complètes, Tome II, Montauban, Cocagne, p. 45)

Si l’homme n’a pas la liberté de penser, il faut donc lui ôter la raison. Nous croyons tous voir la même vérité quand tous nous voyons différemment. Il en est ainsi des religions. Que de cultes divers ! Mais le vrai dieu tel que l’on doit se l’imaginer est, ce me semble, un dieu généreux et bienfaisant ; il laisse prospérer toutes les nations, sous quelque forme que l’on veuille l’adorer. […] cependant que de maux la religion n’a-t-elle pas produits ! Que de contestations ne causera-t-elle point encore !

De la sobriété avant toute chose

Extrait du Bonheur primitif de l’homme, (Œuvres complètes, Tome II, Montauban, Cocagne, p. 47)

Réfléchissant aux conditions du bonheur, Olympe de Gouges imagine les débuts d’une humanité pacifique, avant que le châtiment infligé au désir adultère – l’exclusion de la communauté – ne la fasse sombrer dans la vengeance, inspiratrice d’une libido dominandi qui recouvrira de sa chape de plomb l’art et le plaisir de collaborer en paix. À la première génération, « le premier homme », c’est-à-dire « le plus ancien », avant de mourir, transmet à sa descendance le fruit de son expérience et de ses réflexions. On regrettera, bien sûr que l’inventive Olympe ait abondé dans le sens du patriarcat et n’ait pas osé confier cette tâche à une femme, ou, mieux encore, à plus d’un individu et plus d’un genre (tant pis pour l’anachronisme !). Mais l’on se réjouira qu’elle ait fait tenir à son patriarche un plaidoyer pour la sobriété et l’égalité… en dépit de son androcentrisme (le père, le fils, le frère. sont seuls évoqués et les femmes se voient confier des tâches spécifiques !) :

« craignez de multiplier vos besoins. […] il faut aider avec soin la nature, il faut cultiver la terre ; et à mesure que vous ferez des découvertes, vous verrez l’émulation s’étendre parmi vous. […] que vos biens soient en communauté, vos portions égales, vos vêtements et vos habitations les mêmes, vos mœurs simples et douces. […] L’humanité souffrante sera toujours secourue par l’humanité forte et robuste ; les enfants serviront les pères, les frères cadets les aînés, excepté dans les circonstances de maladie ; […] celui qui n’a ni père ni frère devient le fils adoptif du plus proche voisin ; il a les mêmes prérogatives que tous les autres enfants. Tous les hommes indistinctement doivent concourir au bien public, sans qu’ils puissent s’y refuser, sous quelque prétexte, excepté l’infirmité ou la maladie. Les femmes qui allaiteront leurs enfants seront exemptes des travaux publics ; les jeunes filles iront au champ, garderont les bestiaux. […] Ne souillez jamais vos mains dans le sang de vos semblables. »

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