Olympe de Gouges sans voile

Extraits du Départ de Monsieur Necker et de Madame de Gouges, ou Les adieux de Madame de Gouges aux Français et à Monsieur Necker, 1790

Exaspérée par l’attitude du Théâtre-Français, qui refuse de reprendre les représentations de son « drame sur l’esclavage des Noirs », Olympe de Gouges projette de s’exiler en Angleterre où elle espère trouver moins d’injustice et plus de lumières. Tandis que, confronté à l’opposition de l’Assemblée nationale, en dépit du rôle salutaire qu’il avait jusque-là joué, Necker démissionne.
Olympe de Gouges a « quelques instants, occupé la scène » comme Necker, mais lui
« dans un poste élevé » et elle « dans un rang terre-à-terre », constate-t-elle.
Elle ose se comparer à Necker, et ne doute pas de sa valeur, sans pour autant s’illusionner sur son statut social et la reconnaissance dont elle dispose en tant que femme politique. Son humour lui permet de tenir ensemble son ambition, son désir d’être prise au sérieux, et la réalité de la hiérarchie sociale qui perdure, à laquelle elle se heurte doublement, parce qu’elle est une femme et une « transfuge de classe ».
Elle a conscience de penser à partir de sa position sociale et de façon concrète, « terre-à-terre », convient-elle. Ce qui lui permet d’être sensible à la souffrance des déshérité·es et de proposer des réformes ancrées dans la réalité, afin de remédier à leur sort.
Le 30 mars 2023, Annie Ernaux a dit au Festival international de films de femmes que, prenant soin des autres et se souciant de la vie matérielle, les femmes étaient les mains du monde. Cette remarque vaut aussi pour Olympe de Gouges.
Faisant ses adieux à la France, Olympe poursuit :

Tout mon bagage tiendrait à présent dans un chausson, mais j’ai une santé à toute épreuve,

Pas d’apitoiement sur son sort, elle préfère faire sourire avec elle plutôt que de prêter le flanc à ceux qui voudraient rire à ses dépens.

(…) presque ruinée par mes imprimeurs, je pars dans une carriole
rude et mal attelée, entourée de ma chère collection dramatique et patriotique, semblable, à cet égard au divin Homère, qui gagnait, dit-on, sa vie en récitant de ville en ville les vers de son poème immortel.

Après Necker, Homère : à cette hauteur elle prétend, tel est le sentiment qu’elle a de sa valeur. Femme politique et écrivaine, elle se met sur le même plan qu’un ministre hier encore « le Dieu de la France » puis que le Poète par excellence… sans éprouver de vertige ni perdre le sens de la réalité. Elle invite ses lectrices et lecteurs à cahoter avec elle dans sa carriole « mal attelée », entre aspirations et désillusions, mais en conservant son allant :

je vais faire connaître à l’étranger les écrits d’une femme qui auraient peut-être sauvé la patrie, si on ne les eût pas d’abord dédaignés et calomniés, mais qu’on ne suit pas moins actuellement.

Pas de renoncement chez Olympe de Gouges, pas de sentiment d’échec, à la place du désir et de l’humour. Elle ne partira pas en Angleterre, mais restera en France. Et continuera de penser par elle-même, en considérant son autodidaxie comme un organe-obstacle (concept forgé par Jankélévitch), autrement dit, comme un obstacle qu’elle transforme en moyen au service de la vérité :

(…) souvent la multitude de mes idées m’égare et j’ai alors bien de la peine à me retrouver ; c’est ce qui a fait dire à mes lecteurs : ‘si cette femme n’avait pas des fusées dans la tête, elle nous dirait quelquefois d’excellentes choses’ (…). (…) je suis, dans mes écrits, l’élève de la nature ; je dois être, comme elle, irrégulière, bizarre même, mais aussi toujours vraie, toujours simple.

Olympe de Gouges, c’est aussi cette femme qui, dans ce même écrit, s’engage à ne juger qu’après avoir recherché la vérité :

je ne sais pas condamner un homme sur les apparences, je veux l’entendre, je veux des faits, je veux voir par moi-même.

Penser par soi-même, voir par soi-même : une philosophe donc. Comme le montre brillamment Sandrine Bergès dans l’ouvrage qu’elle lui consacre (Cambridge University Press, 2022).

Publié par Sylvia Duverger

Après un dea en philosophie à Paris I, puis, plus tardivement dans ma vie, un master de sociologie clinique Paris VII, je me suis engagée dans une thèse sur la question (épineuse) du féminin dans la pensée de Levinas, que j'ai délaissée au profit du blog Féministes en tous genres (2011-2018), situé dans les marges de BibliObs. Ce blog ayant disparu dans les limbes d'Internet, je republie ici certains des entretiens qui y figurait, auxquels j'adjoindrai des inédits.

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