Le procès d’olympe de gouges devant le tribunal révolutionnaire

 

Par Yves Laurin, avocat au Barreau de Paris et au Barreau tchèque, docteur en droit [1].

Version révisée de la conférence donnée par Yves Laurin, le 6 mars 2014, au Palais de Justice, à Paris, en introduction à celle d’Olivier Blanc, l’historien qui a sorti Olympe de Gouges de l’oubli et de la méconnaissance et qui, dans ce lieu, a raconté en détail le procès d’Olympe de Gouges.

Il semble aujourd’hui difficile de se projeter dans l’univers du tribunal révolutionnaire. Pourtant, celui-ci siégeait, ici, dans cette salle d’audience du Palais de Justice de Paris, il y a 220 ans.

Cette première salle, l’ancienne grande chambre du Parlement de Paris, où il se réunissait, avait reçu pour nom La liberté.

Le Parlement de Paris disparaît en 1790 et quelques années après, de 1793 à 1795, siège à sa place le tribunal révolutionnaire, qui occupe la totalité de ses locaux.

La résistance du Parlement de Paris à toute modernisation judiciaire avait été l’une des causes de la Révolution française.

Nous retenons qu’y fut enregistré, du 16 au 25 février 1599, après plusieurs refus du Parlement de Paris, l’Édit de Nantes, texte de réconciliation que nous gardons en mémoire, en contrepoint de la justice arbitraire qui y sévit deux siècles plus tard.

Non loin, dans une seconde salle, celle de L’égalité – ironie cruelle de l’histoire –, Olympe de Gouges comparut le 2 novembre 1793, après avoir gravi l’escalier de la tour Bonbec reliant la prison de la Conciergerie, où elle venait d’être déférée sur ordre de Fouquier-Tinville, l’accusateur public.

La salle de L’égalité avait été occupée, sous la monarchie, par la chambre criminelle du Parlement de Paris. Les lieux où elle se trouvait ont été fortement transformés, après des travaux de démolition intervenus au XIXe siècle. Aucune salle d’audience n’y subsiste.

La justice pénale des premiers temps de la Révolution voulait rompre avec les pratiques secrètes, inquisitoriales, sans défense et avocat, de l’ancien régime. La procédure anglaise, connue des juristes des Lumières, servait de référence, notamment pour introduire le jury dans les affaires criminelles.

Une justice nouvelle donc, comportant des jurés et des juges professionnels, cependant défigurée lors de la création du tribunal révolutionnaire, établi par décret de la Convention nationale le 10 mars 1793, en pleine Terreur, et qui sévira jusqu’au 31 mai 1795[2].

Cette juridiction criminelle d’exception usait de règles écrites procédurales qui paraissent parfois encore assez proches de celles qui sont aujourd’hui toujours appliquées devant les cours d’assises.

Mais le vrai visage de cette justice était celui de violations graves aux principes régissant un juste procès – aujourd’hui ceux du procès équitable – soit :

  • des incriminations de nature politique créant des procès d’opinion ;
  • un assujettissement des magistrats du ministère public au pouvoir politique, en l’occurrence au Comité de salut public où siégeait Robespierre[3] ;
  • la soumission des juges au ministère public, représenté par l’accusateur public Fouquier-Tinville, qui détient tous les pouvoirs ;
  • des débats factices et tronqués menés exclusivement à charge ;
  • l’absence de motivation des jugements et de tout recours, en particulier, devant le Tribunal de cassation créé par la réforme judiciaire de 1790.

Il s’agissait d’une justice de type totalitaire.

De surcroît, une misogynie particulière marquait le tribunal révolutionnaire. Marie-Antoinette, 15 jours plus tôt et Madame Roland, 5 jours plus tard, ont un sort identique : une justice expéditive et une exécution capitale immédiate. Charlotte Corday, qui venait de poignarder Marat, avait, quant à elle, comparu devant cette juridiction le 16 juillet de la même année.

Olympe de Gouges dut affronter ses méthodes effroyablement efficaces, incluant des formulaires pré-imprimés – c’était une première – écartant toute contradiction, avec pour seule fin, la guillotine : un abattage organisé en bonne règle.

Olympe de Gouges, auteure qui sera connue dans toute la France pour avoir publié, le 14 septembre 1791, la Déclaration des droits de la femme et saluée pour son engagement, celui de l’Europe des Lumières, en faveur  de l’abolition de l’esclavage, bousculait les plus vieux préjugés.

Elle s’était opposée à la mort de Louis Capet, elle avait critiqué Marat et Robespierre sans ménagement, elle avait condamné les arrestations des Girondins : ses opinions déplaisaient à ceux qui détenaient alors le pouvoir.

L’on songe à la Tchécoslovaque Milada Horáková, digne héritière d’Olympe de Gouges en matière de défense des droits des femmes, détenue, durant la Seconde Guerre mondiale à la forteresse de Terezín, confrontée aux tribunaux nazis du IIIe Reich, puis, après une brève liberté, à nouveau détenue et condamnée, en 1950, à la peine capitale, exécutée à l’issue des procès de Prague, que dirigea, sous la torture, la procuratura toute puissante.

Victime du stalinisme, elle fut réhabilitée lors du printemps de Prague et un hommage lui fut rendu, il y a 20 ans, à la Cour de cassation, sous la présidence du premier président, Pierre Drai, et de Pierre Truche, procureur général.

Mais, la question nous presse. Qu’aurions nous fait pour Olympe de Gouges ? Quelle conduite tenir lorsque l’appareil judiciaire mis en place doit tout broyer ?

  • Nous les avocats, nous n’avons pu être à ses côtés.

Son défenseur n’avait pas été averti. Il est vrai qu’il n’existait plus d’Ordre des avocats. Celui-ci avait été dissous par la loi des 1er et 2 septembre 1790 qui s’inscrivait dans le cadre de la réforme judiciaire abolissant les Parlements.

Une inconséquence, de nature politique, qui s’expliquerait par les liens supposés de l’Ordre des avocats avec l’ancien Parlement de Paris, et qui sera payée très cher. Cette dissolution sera confirmée par le décret Le Chapelier du 14 juin 1791, de portée économique, interdisant les corporations et les associations professionnelles.

La défense ne pouvait donc plus se mobiliser de manière collective, mais uniquement, à titre individuel avec des défenseurs officieux, s’ils étaient informés. Ce ne fut pas le cas pour Olympe de Gouges.

  • Le ministère public n’avait jamais été aussi redoutable.

Il concentrait tous les pouvoirs. Il était le tribunal à lui tout seul. Le procureur Fouquier-Tinville qui interrogea Olympe de Gouges, et son substitut Naulin, présent à l’audience, la méprisèrent et ignorèrent ses idéaux démocratiques, soutenant qu’ils menaceraient la République naissante cernée par les périls. Les juges, enfermés dans la peur, au surplus délibérant publiquement, se trouvaient placés sous le contrôle étroit d’un public choisi, hostile à toute clémence.

Dans la période précédant son arrestation, bouleversée par les violences, les massacres et le climat de guerre civile se développant dans le pays, Olympe de Gouges avait recherché la voie d’une réconciliation.

Toujours très innovante, elle avait proposé un mécanisme basé sur un recours au “suffrage universel” [4]. C’est le projet des trois urnes, d’un référendum permettant de choisir parmi trois grandes options institutionnelles qui évoquaient les travaux de Montesquieu sur les régimes politiques présentés dans De l’esprit des lois.

Cette initiative de réconciliation, fondée sur un libre choix, fut jugée dangereuse et constitua la pièce maîtresse de l’acte d’accusation de Fouquier-Tinville[5]. La force brutale devait s’imposer comme seule loi.

Olympe de Gouges ne céda en rien, témoignant d’un grand courage.

Bien que blessée par une mauvaise chute juste avant sa détention, elle avait conservé une détermination intacte.

Elle dominera les débats, assumant seule sa défense devant le tribunal de la Terreur, seule face à la mort toute proche.

Olympe de Gouges demandera la présence de son conseil ou qu’à défaut un autre soit choisi pour la défendre, en vain.

C’est un hommage des plus lâches que lui adressa le président Herman en lui répliquant : « Vous avez bien assez d’esprit pour vous défendre seule. »

Le pire était donc prévisible.

Elle fit valoir ses engagements de citoyenne et de patriote, mais les juges s’en moquèrent et ne voulurent pas admettre ses mérites. Ils ne l’écoutèrent pas.

Femme des Lumières, écrivaine et philosophe, enthousiaste et passionnée, militante des valeurs républicaines, mère d’un officier des Armées de la République, Olympe de Gouges sera jetée sur l’échafaud et exécutée, le 3 novembre 1793, au lendemain de sa condamnation, oui, jetée sur l’échafaud pour ses idées d’égalité qui aujourd’hui sont inscrites dans nos institutions. En particulier, le droit de vote des femmes et l’accès à toutes les fonctions et professions, chacun se souvenant, ici, que cet accès fut tardif, en 1900, en ce qui concerne le barreau et après la Libération pour la magistrature.

Il était légitime que son nom soit honoré pour la première fois, 220 ans après son procès, dans ce même Palais de l’Île de la Ci [6].

Enfin, qui s’interrogerait encore sur la portée de l’article 1er de la Déclaration des droits de la femme qu’elle transmit à l’Assemblée nationale de 1791 :

“La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité publique” ?

Cet article possède sans aucun doute une valeur constitutionnelle.

Il a devancé, d’un siècle et demi, l’article 3 du Préambule de la Constitution du 4 octobre 1946, toujours en vigueur, qui dispose, dans des termes quasi identiques : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».

Ainsi, une décision sans précédent du Conseil constitutionnel, en date du 9 janvier 2014[7] a fait application de l’article 3 du Préambule de 1946[8], en réalité un simple décalque du texte d’Olympe de Gouges.

L’esprit des lois, très lent ici, aura rejoint de manière progressive la démarche, longtemps jugée provocatrice, d’Olympe de Gouges, qui a agi en pionnière.

Nous ne pouvons pas l’ignorer.

Si une requête était à déposer, il serait suggéré que nos écoles de formation de magistrats et d’avocats rappellent son exemple et qu’à l’entrée de cette salle, on puisse saluer sa mémoire.

Yves Laurin

Pour en savoir plus

Olivier Blanc, « Arrestation et procès d’Olympe de Gouges », préface aux Écrits politiques d’Olympe de Gouges, vol. II, Indigo et côté-femmes, 1993


[1] Diplômé de Sciences Po Paris et de l’Institut de droit comparé ; ancien membre du Conseil de l’Ordre des avocats de Paris, membre de l’Association française pour l’histoire de la justice, ancien membre du Conseil d’administration de l’Inalco (Langues’O) ; avocat de la famille de Dulcie September. Il est l’auteur de travaux et publications sur les institutions judiciaires, l’amicus curiae, les opinions juridiques divergentes et l’apartheid en Afrique du Sud.

[2] En mars 1793 Marat faisait valoir que « c’est par la violence que doit s’établir la liberté, et le moment est venu d’organiser temporairement le despotisme de la liberté pour écraser le despotisme des rois » (6 avril 1793 : Le Moniteur, XVI, p. 76 ; J. P. Marat, Œuvres politiques. 1789–1793, sous la direction de Jacques De Cock et Charlotte Goëtz, 10 vol., Bruxelles, 1989 -1993, vol. IX, p. 6041 ; cité par Denis Richet in F. Furet, M. Ozouf, Dictionnaire critique de la Révolution française, T. 3, Flammarion, coll. Champs histoire, 1992, p. 156 ; et aussi par Cesare Vetter, “Marat et la dictature : évidences lexicométriques, précisions philologiques, conceptualisation”, Révolution française.net, 2009. (Note de S. Duverger)

[3] Robespierre entre au Comité de salut public le 27 juillet 1793. Celui que la presse patriote présente comme l’une des “colonnes“ de la République prône des mesures exceptionnelles, dont l’accélération des procédures devant le Tribunal révolutionnaire. En janvier 1794, il assure ne détenir au Comité de salut public qu’un douzième d’autorité (y officie une douzaine de députés). Il dispose néanmoins d’une grande popularité et d’une “autorité exceptionnelle”. Or il était favorable à un gouvernement d’exception (Hervé Leuwers, Robespierre, PUF, 2019, p. 186-191). (Note de S. D.).

[4] Dans Les trois urnes, ou le salut de la patrie, par un voyageur aérien, se faisant la porte-parole d’un “Dieu bienfaisant”, Olympe de Gouges écrit : “… je veux du moins que les Français soient maîtres  de leur choix, et qu’ils se donnent le gouvernement qui leur paraîtra le plus conforme à leur caractère, à leurs mœurs, à leur climat (…). (…) que tous rentrent dans le fond de leur conscience ; qu’ils y voient les maux incalculables d’une longue division (…), et que chacun se prononce librement sur le gouvernement qu’il prétend adopter. La majorité doit l’emporter. Il est temps que la mort se repose, et que l’anarchie rentre dans les enfers.” (in Olympe de Gouges, Écrits politiques, 1792-1793, vol. II, édités par Olivier Blanc, Indigo et Côté-femmes éditions, 1993, pp. 246-247. (Note de S. D.)

[5] Les 21 et 22 septembre 1792, la Convention nationale avait aboli la royauté et proclamé la république ; le 23 septembre 1792, elle avait proclamé l’unité et l’indivisibilité de la République (Michel Péronnet, Le XVIIIe siècle. Des Lumières à la Sainte-Alliance, Chapitre 11 La République française “une et indivisible”, Vanves, Hachette Éducation, 1998, pp. 212-253). Le référendum proposé dans Les trois urnes contrevenait également à la constitution votée en juin 1793 (et qui ne sera jamais appliquée). (Note de S. Duverger)

[6] Cette conférence a été organisée par Yves Laurin sur le thème du “procès d’Olympe de Gouges devant le Tribunal révolutionnaire”, afin de présenter la biographie d’Olympe de Gouges dont Olivier Blanc était l’auteur et qui venait de reparaître dans une nouvelle édition.

[7] Décision n° 2013-360, question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 9 janvier 2014.

[8] La décision mentionne en effet “le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 [qui] dispose que “La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme”.


Publié par Sylvia Duverger

Après un dea en philosophie à Paris I, puis, plus tardivement dans ma vie, un master de sociologie clinique Paris VII, je me suis engagée dans une thèse sur la question (épineuse) du féminin dans la pensée de Levinas, que j'ai délaissée au profit du blog Féministes en tous genres (2011-2018), situé dans les marges de BibliObs. Ce blog ayant disparu dans les limbes d'Internet, je republie ici certains des entretiens qui y figurait, auxquels j'adjoindrai des inédits.

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